Le débat sur la relance du nucléaire promet d’agiter la Suisse. Le soudain, et contesté, volte-face du Conseil fédéral n’étonne cependant pas vraiment les élus jurassiens sous la Coupole.
La production d’énergie nucléaire s’était éloignée quelque peu du Jura ces dernières années, avec la mise hors service de Mühleberg (BE) fin 2019. Réclamée pendant des années par les autorités jurassiennes, la centrale de Fessenheim, en Alsace, avait aussi arrêté ses réacteurs en 2020. Sortir progressivement du nucléaire? Le canton du Jura l’avait clairement souhaité en 2017, en soutenant la Stratégie énergétique 2050, à 62,7%, (58,2% en Suisse, 53,6% dans le Jura bernois). Une décision tombée six ans après la catastrophe de Fukushima.
«Ça poussait»
Mais le pays va-t-il rouvrir la porte à l’atome? La question refait surface avec fracas avec le souhait du Conseil fédéral de lever l’interdiction du nucléaire. Bien que certains mouvements se soient montrés «choqués» par l’annonce, les parlementaires fédéraux de la région ne se montrent en réalité pas si surpris.
Sénatrice jurassienne, Mathilde Crevoisier Crelier la redoutait. «Les signaux étaient repassés au vert pour le nucléaire», fait-elle remarquer, rappelant que la droite, plus favorable à cette énergie, a gagné en force lors des dernières élections fédérales et que le conseiller fédéral Albert Rösti en était un partisan affiché. «On sentait que ça poussait, notamment pour prolonger la durée de vie des centrales existantes», indique l’élue socialiste.
Avec la guerre en Ukraine, le défi énergétique s’est accentué. Le contexte a changé. Mais la composition du Conseil fédéral aussi. Pour Mathilde Crevoisier Crelier, cela a joué un rôle. À l’époque, les conseillères fédérales étaient majoritaires, rappelle-t-elle, estimant que les femmes ont une notion différente de l’intérêt public.
La gauche, sans surprise, ne goûte pas du tout à cette annonce. Conseiller national, Pierre-Alain Fridez confirme qu’il faut s’attendre à des levées de boucliers en cas d’acceptation du projet. Pour lui, cette annonce est un «retour en arrière». La Suisse s’est engagée sur la voie du renouvelable, tandis que le nucléaire signifie l’inverse. Outre les risques, cette énergie n’est pas renouvelable et engendre une situation de dépendance pour s’approvisionner en uranium, plaide-t-il.
Une redistribution des subventions?
Cette nouvelle orientation du Conseil fédéral sera soumise aux Chambres fédérales, avant de passer devant le peuple en cas de référendum. Rien n’est fait. Mais si le projet se concrétise, les opposants de l’atome craignent déjà une potentielle redistribution de certains financements publics. Les enjeux pourraient ainsi être importants pour les différents projets d’énergie renouvelable, y compris dans le Jura. «Vu les finances de la Confédération, chaque franc qui sera investi dans le nucléaire ne le sera pas ailleurs», contextualise Mathilde Crevoisier Crelier.
Le rôle du Centre
Dans ce débat, la position du Centre – dont l’ex-conseillère fédérale Doris Leuthard avait été la figure de la sortie du nucléaire – jouera un rôle déterminant. Il pourrait se montrer partagé.
Le conseiller aux États Charles Juillard se montre aussi critique, tout en estimant qu’une prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, si leur sécurité est assurée, peut avoir du sens. Pour lui, la décision du Conseil fédéral ne respecte pas les précédentes décisions populaires, est précipitée et ne répond pas aux besoins actuels. «Il faut 30 à 40 ans pour construire une centrale. C’est pour l’hiver prochain qu’il nous faut de l’énergie!» réagit-il.
À l’UDC, la question ne se posera pas en revanche. Thomas Stettler et Manfred Bühler affichent leur soutien, estimant que la Suisse doit laisser toutes les options ouvertes. «Je ne suis pas fan de cette technologie, mais c’était une décision prise à la va-vite que de l’abandonner», évoque le conseiller national jurassien. Citant l’exemple de l’Allemagne, Manfred Bühler pointe les difficultés de s’approvisionner exclusivement en énergies renouvelables pour sortir des énergies fossiles. Le maire de Cortébert salue une décision «frappée du bon sens» pour l’avenir énergétique de la Suisse, notamment car le nucléaire offre une quantité d’électricité disponible en permanence toute l’année.
Le Quotidien Jurassien – Benjamin Fleury