La centrale nucléaire de Fessenheim en France voisine ferme définitivement demain 30 juin en mettant hors-service son deuxième réacteur. Le premier l’était depuis le 22 février.
La prise sera tirée demain à la centrale nucléaire de Fessenheim après des années de remous, de débats et de reports. C’est un événement historique pour la France qui couvre avec le nucléaire 70% de ses besoins en électricité. Après la fermeture de Fessenheim, l’Hexagone comptera encore 57 réacteurs actifs contre quatre en Suisse. La fermeture de cette centrale à 45 km à vol d’oiseau de la frontière est un soulagement pour l’Allemagne et la Suisse qui détiennent respectivement une participation financière de 17,5% et 15% de la centrale. Bâle et le Jura réclamaient depuis longtemps la mise hors-service de la doyenne des centrales françaises installée sur une faille sismique. Le site a été l’épicentre du tremblement de terre le plus violent survenu en Europe centrale en 1356, qui avait détruit la ville de Bâle.
La centrale de Fessenheim a été contestée dès le début de sa construction en 1970. Le premier problème était son implantation dans un lieu à risque sismique important. Elle a en outre été construite à neuf mètres sous le niveau du Grand Canal d’Alsace qui la jouxte de 8 mètres. Contrairement à la plupart des centrales, elle est dépourvue de tours de refroidissement. Le débit en eau du Grand Canal permettait de s’en passer. Mais cette proximité exposait la centrale à un risque d’inondation en cas de séisme ou de rupture de digue. Fessenheim aurait pu reproduire une catastrophe telle que celle de Fukushima en 2011. Les opposants soulevaient d’autres problèmes encore. La dalle de béton d’à peine deux mètres d’épaisseur et à trois mètres des nappes phréatiques qui alimentent le Rhin. Les réacteurs qui ne sont protégés que par une seule enceinte de confinement contre deux pour les autres centrales. Les piscines de refroidissement en zone non sécurisée. Enfin, l’acier des deux générateurs trop sensible à la corrosion que des contrôles de qualité falsifiés n’ont pas permis de déceler. Ce n’est pas étonnant que ce soit à Fessenheim qu’ait été lancé le mouvement anti-nucléaire à l’échelle européenne en 1971. C’est aussi à la même époque que s’organisait en suisse l’opposition au projet d’une centrale nucléaire à Kaiseraugst, près de Bâle, projet abandonné en 1988.
Mise en service en 1978, la centrale de Fessenheim a enregistré 800 incidents. Heureusement sans trop de gravité. Mais elle n’a pas résisté à l’accident de Fukushima en 2011. Élu en 2012, François Hollande promet
d’abord sa fermeture pour 2016. Puis la repousse en liant le sort de la centrale à la mise en service de l’EPR de Flamanville, dans la Manche, une centrale de la troisième génération, plus performante, commencée en 2007 mais qui a pris dix ans de retard et dont le coût est déjà multiplié par
quatre (12,4 milliards d’euros).
Finalement c’est Emmanuel Macron qui a décidé de ne plus attendre et de fermer Fessenheim le 30 juin. L’exploitant, Électricité de France (EDF), a obtenu de l’État une double indemnisation: 400 millions d’euros pour le démantèlement, puis 4 milliards d’euros prévus pour «bénéfice manqué» jusqu’en 2041. Un précédent dangereux pour la France qui devra fermer encore douze réacteurs d’ici 2035 pour réduire de 70 à 50% sa dépendance énergétique au nucléaire comme s’y est engagé M. Macron. L’État assure qu’il n’y aura aucune perte d’emplois (8 salariés d’EDF et 300 sous-traitants). Très dépendante de la manne nucléaire, Fessenheim – 2400 habitants – en doute. Le démantèlement de la centrale débutera après l’évacuation des combustibles, soit vers 2025 et durera au moins jusqu’en 2040. Vingt ans, alors qu’il n’en avait fallu que sept pour la construire!
La fermeture de Fessenheim intervient après celle de la centrale de Mühleberg. La prise de la centrale des bords de l’Aar a été tirée le 20 décembre dernier. Elle couvrait 5% de l’électricité du pays. Son propriétaire, BKW, table sur quinze ans de travaux et, contrairement à EDF, assumera la totalité des coûts, soit 3 milliards de francs. Actuellement, 82 réacteurs sont en cours de démantèlement en Europe et quatre en Russie. On estime à 300 les réacteurs arrivés à bout de course qui devraient être démantelés dans le monde dans les quinze ans. Il en faudra du temps et des milliards pour y parvenir. Sans compter les déchets nucléaires. Il faudra 30 000 ans pour que s’épuisent les moins radioactifs, 2 millions d’années pour les déchets hautement radioactifs.
Article de Pierre-André Chapatte, copié dans le Quotidien Jurassien du lundi 29 juin 2020.