Votes et décisions en faveur de l’énergie nucléaire se sont succédé ce mois de mars
Pour les partisans du nucléaire, ce mois de mars ressemble un peu au printemps de l’atome. Voyez plutôt: le 6, le Conseil des États accepte un postulat du PLR visant à prolonger la durée de vie des centrales existantes et étudier l’option de nouvelles installations; le 19, l’initiative «Stop au black-out» pour lever l’interdiction de nouveaux réacteurs abouti; le 28, Axpo annonce une étude pour exploiter Beznau au-delà de 2030, date prévue initialement pour la fermeture de cette centrale, la plus vieille du monde.
De quoi stimuler les défenseurs du nucléaire comme Damiano Lepori, président du Centre fribourgeois et membre du comité de l’initiative «Stop au black-out». Pour lui, le monde a (encore) changé et la réception du nucléaire par le public, entre le lancement de son initiative il y a plus de deux ans et demi et aujourd’hui, n’est plus la même. «Dans ce débat très émotionnel, on nous prenait au début pour des fous furieux. Depuis, il y a eu un hiver de quasi-black-out, un autre hiver difficile et c’est finalement la réalité qui nous donne raison», sourit-il.
Si bien qu’aujourd’hui, le Fribourgeois trouve que ce mois de mars illustre cette nouvelle donne: le nucléaire redevient fréquentable et peut maintenant faire l’objet d’un vrai débat, alors que les discussions «manquaient d’objectivité» jusqu’à présent. Il plaide: «Il ne faut pas se couper de la recherche sur l’énergie atomique. Empêcher la science de faire son travail, c’est régresser en tant que société. Cela nous priverait d’innovation potentielle comme la fission nucléaire, alors qu’elle pourrait un jour apporter des réponses aux besoins en énergie».
La droite jubile
Dans la presse alémanique ce samedi, plusieurs élus de droite se montrent ravis de l’annonce d’Axpo. «Cette décision est non seulement juste, elle est aussi nécessaire», affirme au Tages-Anzeiger le président du PLR Thierry Burkart. Le même quotidien zurichois relaye la position de Christian Imark, conseiller national UDC, qui soutient les énergies renouvelables mais aussi la préservation des centrales nucléaires existantes et la construction de nouvelles.
Du côté des opposants au nucléaire, on s’interroge sur l’intérêt économique de prolonger l’exploitation de Beznau et on s’inquiète des dangers que cela peut représenter. Et on rappelle que le développement des énergies vertes avance à grande vitesse. «L’an passé, nous avons ajouté 2% d’énergie grâce au soleil, et il y a désormais 10% de l’électricité suisse qui est fabriquée avec de l’énergie solaire. L’an prochain, nous serons à 12%. Ça avance très vite et il faut continuer les efforts d’investissement», défend à la RTS Roger Nordmann, conseiller national socialiste et auteur d’un livre récent sur la transition énergétique.
À cela s’ajoutera peut-être la nouvelle loi pour un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables. Combattue par l’UDC et par diverses petites associations environnementales ou de défense du paysage, elle pose de nouveaux jalons pour la transition énergétique. Elle fixe par exemple d’importants objectifs de production électrique renouvelable en promouvant l’installation de panneaux photovoltaïques sur les grands bâtiments ou la mise en œuvre de 16 projets hydrauliques pour l’approvisionnement hivernal. Les citoyens suisses se prononceront le 9 juin sur cette loi.
Acceptation élevée
Pour Damiano Lepori, pas sûr que cela ne suffise, et l’annonce d’Axpo montre que «les solutions simples, claires et faciles à mettre en place n’existent pas». «Pendant des années, il a été dit que les énergies éolienne et solaire allaient permettre de combler les besoins en hiver. Or avec les oppositions dans les régions notamment, il est évident que ça ne fonctionne pas. Il faut une combinaison des énergies et le nucléaire doit en faire partie.»
Autre élément: prolonger la durée de vie des centrales, c’est maintenir des sites qui pourraient, un jour, accueillir des réacteurs de nouvelles générations. «Si les sites actuels n’existent plus, nous ne pourrons plus jamais construire de nouvelles centrales par manque de place. Or dans les régions qui abritent des réacteurs, l’acceptation de la population y est déjà élevée». Cela dit, il faut une bonne vingtaine d’années pour construire une centrale nucléaire et personne ne peut raisonnablement compter sur le nucléaire pour répondre aux besoins urgents en électricité.
En Suisse, les réacteurs peuvent être exploités tant qu’ils sont considérés comme sûres. Selon la Stratégie énergétique 2050 acceptée par les citoyens en 2017, le pays doit se passer de l’atome. À l’époque, c’est le Centre et sa conseillère fédérale Doris Leuthard qui ont défendu le projet. Président du Centre fribourgeois, Damiano Lepori n’a-t-il pas l’impression de désavouer ses prédécesseurs? Il rétorque: «C’était un moment politique particulier, avec une surréaction à la catastrophe de Fukushima. Et si la population dit non à l’initiative Stop black-out, nous pourrons dire que la question a été débattue.»
Le Quotidien Jurassien – Guillaume Chillier