L’énergie produite par le nucléaire fait à nouveau débat en Suisse.
Une initiative a été déposée à la Chancellerie fédérale à la mi-février. Elle ne mentionne pas explicitement le nucléaire. Les initiatives portent parfois des titres qui ne disent pas clairement sur quoi elles portent. Voyez les deux initiatives sur les retraites soumises au vote populaire le 3 mars. Il ne faut pas effaroucher les électeurs. La nouvelle initiative sur l’énergie parle en termes généraux. Elle voudrait inscrire ceci dans la Constitution: «L’approvisionnement en électricité doit être garanti en tout temps. (…) La production de l’électricité respecte l’environnement et le climat. Toute forme de production de l’électricité respectueuse du climat est autorisée». Sans le dire clairement, les initiants plaident en réalité en faveur de l’atome, la seule énergie à leurs yeux susceptible d’être produite en tout temps, qu’il fasse chaud ou froid, que le soleil brille ou pas, qu’il vente ou pas. Le nucléaire serait la seule énergie susceptible d’assurer la sécurité énergétique du pays.
«Le texte est mal fichu»
de l’aveu d’Antje Kanngiessere, directrice d’Alpiq (RTS 19 février). Alpiq est le principal fournisseur d’électricité en Suisse, des énergies renouvelables au nucléaire (participations dans les centrales de Gösgen et de Leibstadt). Une fois traité par le Conseil fédéral et les Chambres, le texte sera soumis au peuple dans un délai qui reste à fixer. Le gouvernement et le parlement peuvent lui opposer un contre-projet. Si ce texte était accepté, les Verts ont déjà annoncé qu’ils lanceraient un référendum. C’est dire qu’on n’en a pas fini avec le nucléaire.
Cette nouvelle initiative va à l’encontre de la volonté du peuple suisse de renoncer au nucléaire le 21 mai 2017.
Par ce vote historique, les Suisses acceptaient à 58% des voix de se passer à terme du nucléaire en ne construisant plus de nouvelles centrales. Cette décision avait été prise à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Le Japon était reconnu comme l’un des pays les plus sûrs en matière de sécurité nucléaire. C’est pourquoi Fukushima a provoqué un choc et un tournant dans l’évaluation de la sécurité des centrales et pour l’avenir du nucléaire à des fins civiles. De nombreux pays, dont la Suisse, décident de renoncer au nucléaire à plus ou moins long terme. Les centrales existantes sont en général maintenues en activité tant que leur sécurité est assurée. La Suisse a renoncé à fixer une date limite à la durée de ses quatre centrales. Mises en service entre 1971 et 1984, leur maintien en service exige de très lourds investissements. La modernisation des deux réacteurs de la plus jeune centrale du pays, Beznau, a coûté 2,5 milliards de francs depuis 1984. Elle exigera un milliard de francs ces dix prochaines années (chiffres de l’exploitant). Certaines centrales sont arrêtées. C’est le cas de Mühleberg, exploitée pendant 47 ans par les Forces motrices bernoises (devenues BKW) qui ont préféré tirer la prise en 2019 face aux coûts d’une mise en conformité de sa sécurité. C’est le cas aussi en France voisine de Fessenheim, la plus vieille centrale française construite en 1970, arrêtée l’été dernier.
Deux événements vont relancer le nucléaire.
C’est d’abord la guerre en Ukraine. Ce conflit a mis en évidence la trop grande dépendance des Européens au gaz et au pétrole produits ou acheminés par la Russie. Les robinets ont été fermés pour ne pas contribuer au financement de la guerre menée par Moscou, les prix se sont envolés. Les Européens ont craint pour leur approvisionnement, en hiver surtout. Les gouvernements leur ont demandé de baisser le chauffage. Des hivers relativement doux les ont servis. La guerre en Ukraine montre aussi qu’une centrale nucléaire peut être touchée (Zaporijia).
L’autre événement qui relance le nucléaire est le réchauffement climatique.
La lutte contre les catastrophes naturelles dues au dérèglement climatique passe par la réduction des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Or le nucléaire ne produit pas de CO2. Un mix entre les énergies renouvelables et le nucléaire serait donc la solution toute trouvée pour assurer un approvisionnement en énergie toute l’année tout en préservant le climat et la biodiversité. Si bien que la COP28 à Dubaï et l’Union européenne ont placé le nucléaire dans la liste des technologies vertes. À la fin 2023, on comptait 438 réacteurs en service dans le monde (31 pays), 60 sont en construction et 103 autres en projet, dont six en France d’ici à 2050. La Suisse pourrait suivre avec l’initiative déposée le 16 février et le postulat du radical Thierry Burkart qui sera traité le 6 mars au Conseil des États
C’est aller un peu vite en besogne.
Le nucléaire n’est pas aussi propre et sûr que ses promoteurs le prétendent. Luireconnaître une qualité verte est discutable. Il n’émet pas de CO2 mais laisse des déchets dont l’élimination n’est pas résolue. Les centrales présentent des risques des fuites radioactives. Le réchauffement climatique les expose à un manque d’eau pour le refroidissement des réacteurs. L’uranium n’est pas inépuisable. Il doit être importé de pays peu sûrs ou peu recommandables comme la Russie. Construire une nouvelle centrale prendra au moins vingt ans. «Qu’est-ce qu’on fait entre-temps?» s’interroge la directrice d’Alpiq. C’est à court terme que nous avons des besoins à combler tout en visant l’objectif de zéro émissions. Les solutions, ce sont les énergies renouvelables, avec une dose de sobriété dans la consommation. À la condition que les politiques leur allouent les moyens et que la population prenne en compte l’intérêt général. La Suisse peut prendre exemple sur un autre pays alpin, l’Autriche. Notre voisine mise surtout sur l’hydraulique et se passe du nucléaire.
Le Quotidien Jurassien – Pierre-André Chapatte, éditorialiste